Song: Les métamorphoses dOvide Livre I Fable 5
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Artist: Ovide
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(v.163) Quand le maître des dieux, fils de Saturne, vit du haut de sa demeure ce spectacle, il en gémit et, repassant dans son esprit - le fait récent n'était pas encore divulgué - l'affreux banquet servi à la table de Lycaon (1), il en conçoit une violente colère, digne de Jupiter, et convoque l'assemblée des dieux. Tous, sans retard, rendent à son appel.
(v.168) Il est au-dessus de nous, une voie bien visible par ciel serein ; elle a nom voie lactée, et sa blancheur même permet d'en suivre le parcours. C'est par cette route que les dieux se rendent au palais où réside le maître suprême du tonnerre. A droite et à gauche, les demeures de la noblesse céleste s'offrent, portes ouvertes, à la foule qui les assiège. La plèbe divine habite dispersée en divers lieux (2). C'est le lieu que, si l'audace dans les mots est permise, je ne craindrais pas d'appeler le Palatin du ciel.
(v.177) Donc, dès que les dieux eurent pris place à l'écart dans leur salle de marbre, Jupiter, qui les dominait de sa place, appuyé sur son sceptre d'ivoire, secoua à trois et quatre reprises cette chevelure qui répand l'effroi, et dont les mouvements ébranlèrent la terre, la mer et les astres. Puis sa bouche épancha son indignation en ces termes :
(v.182) « Non, je n'ai pas, pour moi, éprouvé plus d'angoisse pour la possession du sceptre du monde, au temps où les monstres anguipèdes s'apprêtaient à emprisonner le ciel chacun de ses cent bras. Car, si sauvage que fût l'ennemi, en cette guerre, les assaillants étaient de race unique, avaient un but unique. Aujourd'hui, il me faut, sur tout l'orbe du monde qu'enveloppent de leur bruissements les flots de Nérée, perdre la race des mortels. J'en fais serment par les fleuves infernaux, qui coulent sous terre dans le bois du Styx, j'ai commencé par tout essayer pour guérir le mal. Il est sans remède, et l'épée doit trancher dans le vif, si l'on ne veut pas que la partie saine soit entraînée à sa perte. J'ai sous mon sceptre des demi-dieux, j'ai des divinités rustiques, des Nymphes, des Faunes, des Satyres, des Sylvains, hôtes des montagnes ; puisque nous ne les jugeons pas encore dignes des honneurs du ciel, rendons du moins pour eux la terre, que nous leur avons assignée, habitable. Or, pensez-vous, hôtes du ciel, qu'ils y soient en sécurité, lorsque moi, le maître de la foudre, moi, votre maître et votre roi, j'ai été exposé aux embûches d'un monstre réputé pour férocité, Lycaon ? »
(v.199) Tous frémirent, et brûlant de zèle, demandent le châtiment de celui qui fut coupable d'une telle audace. De même, quand une main impie tenta, dans sa fureur, de noyer le nom de Rome dans le sang de César, la stupeur frappa d'effroi le genre humain soudainement menacé d'une telle catastrophe, et le monde entier frissonna d'horreur. Et le pieux attachement de ton peuple, Auguste, ne fut pas plus doux à ton coeur que celui des dieux à Jupiter. Quand celui-ci eut, de la voix et du geste, réprimé les murmures, tous gardèrent un profond silence. Une fois leur clameur apaisée sous l'empire de l'autorité du maître, Jupiter, rompant le silence, reprit en ces termes la parole :
(v.209) « Ce monstre - chassez sur ce point tout souci - a été, à la vérité, châtié. Mais quel fût son crime, quel en est le châtiment, je veux vous l'apprendre. La réputation de ce siècle dépravé était venue jusqu'à mes oreilles ; je la souhaitais fausse ; c'est pourquoi, me laissant choir du haut de l'Olympe, tout dieu que je fusse, je vais, sous l'apparence d'un homme, parcourir la terre. Trop longue serait l'énumération de tout ce que j'ai découvert en tous lieux de criminel : cette infâme réputation était elle-même encore au-dessous de la vérité. J'avais traversé le Ménale, redoutable repaire des bêtes féroces, et, après le Cyllène, les forêts de pin du frais Lycée. J'entre alors dans les terres et sous le toit inhospitalier du tyran d'Arcadie, à l'heure où, le soir venu, le crépuscule amène la nuit. J'annonçai, par des signes, l'arrivée d'un dieu, et l'humble peuple s'était déjà mis en prières. Lycaon commença par tourner en dérision ces pieuses dévotions, puis il déclare :
(v.222) « Je vais bien voir, si ce soi-disant dieu n'est pas un mortel : l'expérience sera décisive. On ne pourra mettre en doute la vérité. » Il médite, la nuit, quand le sommeil appesantirait mes membres, ma perte et ma mort par surprise : tel est le moyen par lequel il veut faire éclater la vérité. Et cette perfidie ne lui suffit pas : le peuple Molosse lui avait envoyé des otages ; de son épée, il ouvre la gorge de l'un deux ; puis de ses membres pantelants faisant deux parts, il détrempe l'une dans l'eau bouillante, fait rôtir l'autre au feu. Au moment même où ce mets parut sur sa table, moi, d'une flamme vengeresse, sur le maître et les pénates dignes de lui, je fis crouler sa demeure. Lui-même terrifié s'enfuit, et, réfugié dans le silence de la campagne, il pousse de longs hurlements, fait de vains efforts pour retrouver la parole ; c'est de tout son être qu'afflue à sa bouche la rage ; son goût habituel du meurtre se tourne vers les bêtes et maintenant encore, sa jouissance est de verser le sang. Ses vêtements se muent en poils, en pattes ses bras ; il devient loup, mais il garde encore des vestiges de sa forme première : même couleur grisâtre du poil, même furie sur ses traits, mêmes yeux luisants ; il reste l'image vivante de la férocité. Une seule demeure est tombée ; mais ce n'est pas une seule demeure qui méritait sa perte : sur toute l'étendue de la terre règne la cruelle Erynis ; c'est, croirait-on, la conjuration du crime. Il faut que rapidement tous (c'est là ma décision inébranlable) subissent le châtiment qu'ils ont mérité. »
(v.244) A ces paroles de Jupiter, les uns, parmi les dieux, donnent une pleine approbation, et stimulent encore sa colère frémissante, les autres se bornent à un assentiment. Et pourtant, la perte du genre humain est pour tous une vraie douleur, et ils demandent à quoi ressemblera la terre privée des mortels, qui viendra sur les autels apporter l'encens, si Jupiter se dispose à livrer la terre aux bêtes féroces pour la ravager. A toutes ces questions, le roi des dieux répond qu'il prend la responsabilité de tout ; il interdit de vaines alarmes et promet qu'une race toute différente de celle qui peuplait auparavant la terre naîtra miraculeusement.
(v.253) Il se disposait déjà à couvrir des traits de sa foudre toute la superficie de la terre, mais il craignait de voir l'éther sacré, au contact de tous ces feux, s'enflammer, et le monde s'embraser d'un pôle à l'autre. Il se rappelle aussi que, suivant le destin, un jour doit venir où la mer, où la terre, où le ciel, demeure divine, à son tour envahi par les flammes, brûleront, où la masse du monde, édifiée avec tant d'art, s'écroulera. Il repose ses carreaux fabriqués par les mains des Cyclopes. Un châtiment tout différent lui sourit : il va consommer sous les eaux la perte du genre humain et, de tous les points du ciel, faire crever les nuages.
Notes :
(1) Voir plus loin, v.216, le développement de cet épisode, et Hygin, Fables, 176.
(2) Il y avait toute une hiérarchie divine. La noblesse céleste est représentée par ceux que l'on a appelés les douze grands dieux.
(v.168) Il est au-dessus de nous, une voie bien visible par ciel serein ; elle a nom voie lactée, et sa blancheur même permet d'en suivre le parcours. C'est par cette route que les dieux se rendent au palais où réside le maître suprême du tonnerre. A droite et à gauche, les demeures de la noblesse céleste s'offrent, portes ouvertes, à la foule qui les assiège. La plèbe divine habite dispersée en divers lieux (2). C'est le lieu que, si l'audace dans les mots est permise, je ne craindrais pas d'appeler le Palatin du ciel.
(v.177) Donc, dès que les dieux eurent pris place à l'écart dans leur salle de marbre, Jupiter, qui les dominait de sa place, appuyé sur son sceptre d'ivoire, secoua à trois et quatre reprises cette chevelure qui répand l'effroi, et dont les mouvements ébranlèrent la terre, la mer et les astres. Puis sa bouche épancha son indignation en ces termes :
(v.182) « Non, je n'ai pas, pour moi, éprouvé plus d'angoisse pour la possession du sceptre du monde, au temps où les monstres anguipèdes s'apprêtaient à emprisonner le ciel chacun de ses cent bras. Car, si sauvage que fût l'ennemi, en cette guerre, les assaillants étaient de race unique, avaient un but unique. Aujourd'hui, il me faut, sur tout l'orbe du monde qu'enveloppent de leur bruissements les flots de Nérée, perdre la race des mortels. J'en fais serment par les fleuves infernaux, qui coulent sous terre dans le bois du Styx, j'ai commencé par tout essayer pour guérir le mal. Il est sans remède, et l'épée doit trancher dans le vif, si l'on ne veut pas que la partie saine soit entraînée à sa perte. J'ai sous mon sceptre des demi-dieux, j'ai des divinités rustiques, des Nymphes, des Faunes, des Satyres, des Sylvains, hôtes des montagnes ; puisque nous ne les jugeons pas encore dignes des honneurs du ciel, rendons du moins pour eux la terre, que nous leur avons assignée, habitable. Or, pensez-vous, hôtes du ciel, qu'ils y soient en sécurité, lorsque moi, le maître de la foudre, moi, votre maître et votre roi, j'ai été exposé aux embûches d'un monstre réputé pour férocité, Lycaon ? »
(v.199) Tous frémirent, et brûlant de zèle, demandent le châtiment de celui qui fut coupable d'une telle audace. De même, quand une main impie tenta, dans sa fureur, de noyer le nom de Rome dans le sang de César, la stupeur frappa d'effroi le genre humain soudainement menacé d'une telle catastrophe, et le monde entier frissonna d'horreur. Et le pieux attachement de ton peuple, Auguste, ne fut pas plus doux à ton coeur que celui des dieux à Jupiter. Quand celui-ci eut, de la voix et du geste, réprimé les murmures, tous gardèrent un profond silence. Une fois leur clameur apaisée sous l'empire de l'autorité du maître, Jupiter, rompant le silence, reprit en ces termes la parole :
(v.209) « Ce monstre - chassez sur ce point tout souci - a été, à la vérité, châtié. Mais quel fût son crime, quel en est le châtiment, je veux vous l'apprendre. La réputation de ce siècle dépravé était venue jusqu'à mes oreilles ; je la souhaitais fausse ; c'est pourquoi, me laissant choir du haut de l'Olympe, tout dieu que je fusse, je vais, sous l'apparence d'un homme, parcourir la terre. Trop longue serait l'énumération de tout ce que j'ai découvert en tous lieux de criminel : cette infâme réputation était elle-même encore au-dessous de la vérité. J'avais traversé le Ménale, redoutable repaire des bêtes féroces, et, après le Cyllène, les forêts de pin du frais Lycée. J'entre alors dans les terres et sous le toit inhospitalier du tyran d'Arcadie, à l'heure où, le soir venu, le crépuscule amène la nuit. J'annonçai, par des signes, l'arrivée d'un dieu, et l'humble peuple s'était déjà mis en prières. Lycaon commença par tourner en dérision ces pieuses dévotions, puis il déclare :
(v.222) « Je vais bien voir, si ce soi-disant dieu n'est pas un mortel : l'expérience sera décisive. On ne pourra mettre en doute la vérité. » Il médite, la nuit, quand le sommeil appesantirait mes membres, ma perte et ma mort par surprise : tel est le moyen par lequel il veut faire éclater la vérité. Et cette perfidie ne lui suffit pas : le peuple Molosse lui avait envoyé des otages ; de son épée, il ouvre la gorge de l'un deux ; puis de ses membres pantelants faisant deux parts, il détrempe l'une dans l'eau bouillante, fait rôtir l'autre au feu. Au moment même où ce mets parut sur sa table, moi, d'une flamme vengeresse, sur le maître et les pénates dignes de lui, je fis crouler sa demeure. Lui-même terrifié s'enfuit, et, réfugié dans le silence de la campagne, il pousse de longs hurlements, fait de vains efforts pour retrouver la parole ; c'est de tout son être qu'afflue à sa bouche la rage ; son goût habituel du meurtre se tourne vers les bêtes et maintenant encore, sa jouissance est de verser le sang. Ses vêtements se muent en poils, en pattes ses bras ; il devient loup, mais il garde encore des vestiges de sa forme première : même couleur grisâtre du poil, même furie sur ses traits, mêmes yeux luisants ; il reste l'image vivante de la férocité. Une seule demeure est tombée ; mais ce n'est pas une seule demeure qui méritait sa perte : sur toute l'étendue de la terre règne la cruelle Erynis ; c'est, croirait-on, la conjuration du crime. Il faut que rapidement tous (c'est là ma décision inébranlable) subissent le châtiment qu'ils ont mérité. »
(v.244) A ces paroles de Jupiter, les uns, parmi les dieux, donnent une pleine approbation, et stimulent encore sa colère frémissante, les autres se bornent à un assentiment. Et pourtant, la perte du genre humain est pour tous une vraie douleur, et ils demandent à quoi ressemblera la terre privée des mortels, qui viendra sur les autels apporter l'encens, si Jupiter se dispose à livrer la terre aux bêtes féroces pour la ravager. A toutes ces questions, le roi des dieux répond qu'il prend la responsabilité de tout ; il interdit de vaines alarmes et promet qu'une race toute différente de celle qui peuplait auparavant la terre naîtra miraculeusement.
(v.253) Il se disposait déjà à couvrir des traits de sa foudre toute la superficie de la terre, mais il craignait de voir l'éther sacré, au contact de tous ces feux, s'enflammer, et le monde s'embraser d'un pôle à l'autre. Il se rappelle aussi que, suivant le destin, un jour doit venir où la mer, où la terre, où le ciel, demeure divine, à son tour envahi par les flammes, brûleront, où la masse du monde, édifiée avec tant d'art, s'écroulera. Il repose ses carreaux fabriqués par les mains des Cyclopes. Un châtiment tout différent lui sourit : il va consommer sous les eaux la perte du genre humain et, de tous les points du ciel, faire crever les nuages.
Notes :
(1) Voir plus loin, v.216, le développement de cet épisode, et Hygin, Fables, 176.
(2) Il y avait toute une hiérarchie divine. La noblesse céleste est représentée par ceux que l'on a appelés les douze grands dieux.
( Ovide )
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